Le chemin de l'abbé Jean Carrier
Pour ce premier article, nous avons choisi de mettre à l’honneur un personnage clé de l’histoire du village : l’abbé Jean Carrier. Curé de Saint-Amand de Coly de 1866 à 1899, la ténacité de ce personnage haut en couleurs a fortement contribué au prestige et au renom de Saint-Amand-de-Coly.
Une publication de notre Association, rééditée en 2003, regroupe les travaux de recherche de Pascale Lagauterie et de l’abbé Robert Bouet à son sujet. Cet article en reprend des extraits. (vous pouvez retrouver la publication dans son intégralité, ici)
Jean Carrier
Nous avons peu de renseignements sur la vie et la personnalité de l'abbé Carrier, en dehors de son curriculum vitae officiel. D'après une tradition orale, qui s'est transmise jusqu'à nos jours, le curé de Saint Amand était d'une grande sévérité envers ses paroissiens et, en particulier, à l'égard des enfants du catéchisme.
Cependant, par-delà le temps, restent les écrits où Jean Carrier témoigne d'une grande bienveillance pour ses administrés et de son souci d'observer leur folklore.
Certains de ses propos, qui ont été conservés, le montrent peu favorable au gouvernement républicain.
Il devient également l’un des premiers membres de la Société Historique et Archéologique du Périgord. Membre actif, il sera à l’origine de plusieurs publications.
En plus de ses travaux pour restaurer son église, il faut signaler que c'est du temps de ce curé qu'en 1882, le cimetière qui était à côté de l'église (côté nord) fut transféré à son emplacement actuel, à l’extérieur du village.
Une église en bien mauvais état
L'œuvre la plus tangible de Jean Carrier, c'est l’église abbatiale elle-même rendue à sa splendeur passée.
Dans un registre manuscrit des Archives Départementales de la Dordogne, Jean Carrier retrace toutes les démarches et tous les travaux effectués pour restaurer cet édifice qu'il trouva dans un piteux état à son arrivée à Saint Amand-de-Coly, en 1866. Ainsi le relate t-il dans son discours lors de la visite pastorale de l’évêque :
" Lorsqu'il y a 5 ans, Mgr daigna me nommer curé de la paroisse de Saint Amand de Coly, voilà dans quel état était cette si remarquable église.
La toiture était en mauvais état et les eaux pluviales pénétraient abondantes dans l'intérieur. Toutes les fenêtres étaient murées sous la terre à l'exception de trois. L'eau suintait à travers les murs et l'humidité glaçait l'intérieur de cet édifice.
Les mousses, le lierre, de hautes herbes et des arbustes revêtaient ce monument qui était enfoui dans les décombres à une profondeur de 2 à 10m50. " *
Cette dégradation avait de lourdes conséquences sur la vie des paroissiens et du prêtre :
" ... Repoussés par cette température froide et dangereuse, attirés le Dimanche par le marché de Montignac, les fidèles avaient déserté le saint lieu, et le prêtre était condamné à rester là, dans ce désert, triste et seul gardien de ces ruines et de son Dieu. " *
Il fallait donc compter sur toute la passion historique et archéologique de l'abbé Carrier, tout son amour pour l'abbatiale, ainsi que sur l'attachement des habitants de la commune pour le monument qui avait veillé sur la vie de leurs ancêtres pour entreprendre sa restauration :
" C'est une reine dans le désert annonçant à quiconque vient lui rendre hommage quelle fut sa splendeur et combien grande fut la gloire qui l'entourait. " *
Il rend également hommage à la municipalité et à son prédécesseur qui, au cours du 19e siècle, ont eux aussi sauvé le monument d'une ruine certaine.
Les déblais
L'essentiel des travaux de l'abbé Carrier, c'est le déblaiement des alentours de l'édifice, la création d'un couloir autour du monument et la construction de murs de soutènement pour éviter de nouveaux affaissements de terrain.
Photos du couloir et des soutènements au Nord, Est et Sud-Est de l'église.
Ce travail fut effectué sur plusieurs années, grâce à des subventions et aux hommes du village qui répondirent présents à l’appel du prêtre et donnèrent une journée chacun.
Un premier déblaiement révéla les trois fenêtres de l’abside, puis le travail continua sur la partie Sud-Ouest où un premier mur de soutènement sera construit, pour finir par la partie du cimetière touchant la nef au Nord.
Plan dressé en 1873, par l’abbé Carrier, indiquant les soutènements réalisés en lien avec le déblaiement du pourtour qu’il avait entrepris (Archives Départementales de la Dordogne Ms98, scan p. 71).
" Les matériaux qui ont été placés à une distance suffisante représentent 2000 m3 et forment une montagne dont la hauteur atteint le niveau de la toiture de l'église. " (1873) *
En 1874, le total des mètres cube retirés était de 4671 m3.
" Cet énorme travail a été entrepris avec courage ; et j'attendais cette occasion solennelle, Mgr., pour publier bien haut la belle conduite des hommes de Saint Amand qui, portant leurs pelles, leurs pioches et leurs vivres sont venus, au nombre de 423, travailler gratuitement dans ce pénible chantier. Qu'ils reçoivent ici l'expression de ma bien profonde reconnaissance. " *
" Les murs de soutènement ont été bâtis parallèlement à l'église avec du moellon et principalement avec de la pierre de taille provenant de la démolition de l'ancienne abbaye. Ils ont été construits en grande partie avec du mortier de chaux hydraulique de Saint Astier ou du Lardin. " *
Sans les murs de soutènement, l'œuvre de déblaiement eut été précaire.
Il créa un chemin de circulation au pied du bâtiment, entre l'édifice et les murs de soutènement, très apprécié des visiteurs encore aujourd’hui !
"Je dois ajouter qu'au niveau du sol déblayé, quatre escaliers ont été faits pour faciliter la circulation autour de l'église ... (les) murs de soutènement sont bâtis en retranchement et forment à une hauteur de 3 m une allée ou promenade large d'un mètre qui devra être poursuivie tout le tour de l'église et que pourront parcourir les visiteurs." *
Face à ce travail considérable et dans l'angoisse de ne pas recevoir les crédits nécessaires pour le continuer, l'abbé Carrier insistait auprès des pouvoirs publics :
"Si mon œuvre était abandonnée, les matériaux auraient bientôt repris, par des éboulements inévitables, la place qu'ils occupaient depuis environ 5 siècles. Il importe donc d'assurer le magnifique travail qui m'a tant coûté." *
Extrait correspondance Abbé Carrier – 15 Juillet 1873 (Archives Départementales de la Dordogne Ms97, scan p. 7).
Nettoyage, réparations et demandes de secours
Durant ses cinq premières années à Saint-Amand-de-Coly, l’abbé Carrier entreprit un premier travail grâce à des fonds provenant de la vente de biens communaux, des modiques ressources de la Fabrique, de produits de plusieurs quêtes et de quelques dons.
Ce travail permit de remettre en état la toiture, laver les murs, déboucher les fenêtres, faisant entrer air et lumière et ainsi assainir l’édifice. La chapelle de droite a été remise en très bon état, les mousses, lierre, herbes et arbustes ont été arrachés.
En parallèle, les travaux de déblaiement commencèrent. En 1871, une première demande de subvention est envoyée au Préfet, elle sera suivie de cinq autres, jusqu’en 1877.
En 1875, par exemple, l’Abbé Carrier écrit :
"... Mon travail fut approuvé par le Conseil des bâtiments civils, par le Conseil général et par le Ministère qui, le 18/12/1874, accorda un secours de 2000 Frs ... pour le déblaiement de l'église." *
Il est probable que l'abbé Carrier n'utilisa pas cette somme pour poursuivre les déblaiements, ceux-ci étant presque achevés à cette date mais que par contre il envisageait d'entreprendre des travaux qu'il avait préconisés dans sa demande de secours, à savoir :
- Réparation des pignons
- Réparation de la charpente et de la couverture
- Divers aménagements de l'église
Désignation des travaux à réaliser, dressé par l'abbé en 1873 - Extrait des Notes, plans, mémoires et correspondance de l'abbé Carrier au sujet de la restauration de l'église de Saint-Amand-de-Coly (1873-1892). (Archives Départementales de la Dordogne Ms98, scan p. 67).
Exemple d’aménagements :
"…, nous avons fait placer, il y a un an, 19 verrières sorties des ateliers de MM Besseyrias de Périgueux. Mais il nous reste aujourd'hui et sans plus tarder à faire faire 19 treillis pour protéger nos vitraux contre la grêle et les pierres des enfants de l'école placée à proximité de l'église." (1877) *
Grâce à sa persévérance, L’abbé Jean Carrier a ainsi réussi à rendre la vie à l’un de nos plus beaux monuments du Périgord.
Ecrits et publications
Détail de la première page des Notes historiques et archéologiques sur Saint-Amand-de-Coly, par l'abbé J. Carrier, curé, 1871-1882. (Archives Départementales de la Dordogne Ms97, scan p. 2).
Durant ses années à Saint-Amand de Coly, l’abbé Carrier produira différents écrits et publications :
- 4 manuscrits, comprenant :
o d’une part des documents produits par l’abbé lui-même, de 1871 jusqu’à son décès en 1899. On peut y trouver, entre autres : des notes historiques et archéologiques sur l’église et l’abbaye, sa correspondance officielle pour demande de subventions, plan des travaux.
o Mais aussi des documents plus anciens, comme par exemple des copies de documents sur l’abbaye en latin (1132 – 1789) ou un dépouillement des archives de 1771.
Ces manuscrits se trouvent aux Archives Départementales de la Dordogne (Série Ms), ils ont été digitalisés et sont désormais disponibles en ligne, ici.
- Des articles et brochures :
Ce sont essentiellement des articles parus, sauf le premier, dans le Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord :
o Inscription tumulaire (XIIe siècle) Eglise de Saint Amand de Coly (Dordogne). En 1881
o Ouverture du tombeau de W. Guillaume, abbé de Saint Amand de Coly. En 1883 et 1889.
o La chapelle de Drouille. En 1892
o La vérité historique sur la tonsure de Chateaubriand - Périgueux, en 1892
o Folklore ou vieilles coutumes et anciens usages des habitants de la paroisse de Saint Amand de Coly avec les superstitions et proverbes locaux. En 1893
N.B. Suite à cet article, le poète sarladais Ludovic Sarlat adressa un sonnet à l'abbé Carrier.
o Bénédiction du nouveau drapeau des conscrits de 1895 – Périgueux 1895
(Les articles "La Chapelle de Drouille" et "Folklore ou vieilles coutumes et anciens usages des habitants de la paroisse de Saint Amand de Coly" ont été repris dans notre publication, ici)
- Membre actif de la Société Historique et Archéologique du Périgord (S.H.A.P.), il est cité de nombreuses fois dans les comptes rendus de séances, de 1874 à 1899.
Retrouvez notre publication dans son intégralité, ci-dessous :
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* Archives Départementales de la Dordogne - MS97 - Notes historiques et archéologiques sur Saint-Amand-de-Coly, par l'abbé J. Carrier, curé, 1871-1882 - Scan pages 4, 6, 7, 9, 11, 12 et 15.
Avec l'aimable autorisation de la Direction des Archives départementales de la Dordogne.
Crédit Photos: J.-C. Wintersdorff (2021) et C. Wintersdorff (2015)