À quoi pouvait ressembler le cloître de Saint-Amand-de-Coly ?
Mais tout d’abord qu’appelle-t-on un cloître ?
Formé de galeries ouvertes délimitant une cour centrale, le cloître est généralement édifié sur un plan carré[1]. Par extension ce terme peut désigner l’ensemble des bâtiments des chanoines.
Selon Emmanuel Viollet-le-Duc, il s’agit d’une « cour entourée de murs et de galeries établies à côté des églises cathédrales, collégiales et monastiques[2] ».
À Saint-Amand-de-Coly, comme dans un grand nombre de monastères, il était situé au sud de la magnifique église abbatiale.
Le bâtiment principal, composé d’au moins 3 galeries, a disparu depuis de nombreuses décennies mais peut être seulement après 1751, date d’un inventaire pour travaux dans lequel il serait cité selon l’érudit André Delmas[3].
Nous allons essayer d’en suivre les vestiges, dans les textes, sur les murs et enfin dans le sous-sol.
Nous avons la chance, en effet de posséder une mention du cloître, dans un texte de la fin du XVe siècle, retrouvé par André Delmas, qui est dit avoir été signé le 4 avril 1482 « Dans le cloître supérieur[4] ». Ainsi, il existait un étage au-dessus des galeries du cloître, peut-être faisant fonction de scriptorium, lieu où l’on copiait les manuscrits et donc où étaient consignés les actes importants pour l’administration de l’abbaye.
De plus, lorsque l’on observe le mur sud de la nef (que l’on nomme parfois « gouttereau » ou « goutterot » puisqu’il permet à l’eau de pluie de s’égoutter), on note un grand nombre de traces, blocs en attente, vestiges de blocs retaillés, trous de poutres, zone horizontale rougeâtre (« rubéfiée ») indiquant la trace de l’incendie d’un plancher et sur le mur adjacent du transept sud, une profonde incision oblique marquant la pente de la toiture à un pan coiffant l’étage.
Une observation attentive permet donc de confirmer l’existence d’un étage appuyé sur une partie[5] du long mur sud de la nef et accessible par une porte installée dans le mur du transept (aujourd’hui munie d’un vitrail) au-dessus de la porte de plain-pied. Sur le second contrefort plat de la nef, le vestige de la partie médiane d’un arc autorise d’y voir l’emplacement du retour vers le sud de la galerie du cloître.
Enfin, sur la fenêtre orientale de la nef, deux petites encoches, à la hauteur du faîte de la couverture de l’étage du cloître, permettaient d’y installer un élément de bois complétant la poutre faîtière et recevant les pannes de sa charpente.
En fonction de ces éléments, alors étudiant en archéologie, j’avais proposé en 1980, aux services archéologiques de l’État, de réaliser un sondage[6] afin de tenter de retrouver les traces du mur bahut (mur bas portant les colonnes).
Cette autorisation accordée, j’ai pu en quelques jours réaliser cette opération avec l’aide de mon frère Jean-Michel au mois d’août 1980. Le sondage a été implanté en face du second contrefort et d’une portion de la nef.
Sous une couche de surface moderne, contenant par exemple une bille en terre, échappée de la cour de l’école située en contre-haut, nous avons mis au jour un épais remblais contenant de nombreux débris de petites pierres de calcaire, niveau qui a été interprété comme le nivellement du secteur après la construction du mur de soutènement M.0, construit par les soins de l’abbé Carrier entre 1871 et 1873.
Sous une couche brun-noire d’abandon, sont apparus les restes d’un mur (M.1), large de 0,85 m et bâti avec des pierres équarries en parement et d’un blocage d’éclats de calcaire liés par un mortier de terre et de chaux de couleur orangée. De nombreux blocs étaient manquants, en particulier ceux du chaînage d’angle, marquant ainsi la récupération puissante des matériaux en vue de leur réutilisation. Cette « spoliation », phénomène très fréquent en archéologie, nous empêche de pouvoir restituer avec précision la hauteur précise du mur bahut, ou encore le rythme des colonnes, il faudra nous contenter d’approximations. Ce mur devant recevoir la poussée d’un étage, il est probable que des contreforts existaient du côté du préau (situé sous la cour de l’école actuelle).
Coupe sud-nord du sondage de 1980, avec les niveaux archéologiques et une restitution de l’élévation possible (Relevé P.-M. Blanc, DAO R. Douaud, CNRS, ArScAn-APOHR).
Néanmoins d’autres informations nous sont parvenues, ainsi le sondage a également révélé l’existence d’un retour vers le sud du mur (M.2) mais d’une largeur de seulement 0,60 m. Cette différence s’explique par la présence de l’étage au-dessus de la galerie longeant la nef alors que le reste du cloître possédait une galerie simple en rez-de-chaussée.
Ainsi, moins de cinquante centimètres sous la surface actuelle, les murs existaient bien encore, nous permettant de restituer la largeur de la galerie nord du cloître qui mesurait ainsi 2,40 m et était couverte d’un berceau maçonné, mais également de vérifier que la présence d’un étage nécessitait un mur puissant destiné à le porter. À partir de ces mesures il est possible de proposer une longueur de 5,60 m pour le mur bahut avec deux couloirs de 2,40 m ce qui porterait la dimension interne de cette galerie à 9,30 m.
Evocation de l’aspect possible des galeries du cloître (3D Rozenn Douaud, CNRS, ArScAn-APOHR)
La fouille s’est arrêtée sur un riche niveau de sépultures, semblant malheureusement très perturbé, ainsi dans la minuscule emprise du sondage, aucun ossement n’a été retrouvé en connexion anatomique. En effet, de nombreuses mentions relevées dans les registres paroissiaux font état d’inhumations réalisées dans « les cloîtres de l’abbaye » jusqu’à une date avancée du XVIIIe siècle[7]. Il est probable que cet usage funéraire « civil » ait succédé au cimetière des moines qui pourrait avoir pris place entre la galerie ouest et le mur appuyé contre le côté sud du clocher-porche aperçu dans la fouille de l’an 2000[8].
Dès l’entrée dans l’église abbatiale, on note sur la gauche, une cuve baptismale et une tablette de pierre qui reposent chacune sur un chapiteau solidaire d’un tronçon de colonne.
Ces éléments appartiennent très certainement à une partie de galerie du cloître qui se développait au sud de l’église.
Cet aménagement réemployant des pierres anciennes, remonte selon toute vraisemblance à 1827, date de la dernière réfection du dallage à l’intérieur de l’église abbatiale, le cloître avait donc bien disparu à ce moment-là, mais des éléments subsistaient et ont été alors réutilisés.
Je ne l’ai observé et ne m’en suis persuadé qu’au mois de septembre dernier, en 2020, soit tout juste 40 ans après la découverte archéologique du cloître !...
[1] Pérouse de Monclos 2011, p. 472. [2] Viollet-le-Duc, 1854, p. 410. [3] Delmas 1978, p. 87, p. 133.
[4] Bib. Nat. Ms. Lat. 17105 n°17, cité par Delmas 1978 p. 85. [5] En effet, deux rangs de blocs en attente, saillant du mur de la nef à la hauteur du départ de voûte, laissent penser que la galerie du cloître était initialement prévue sur toute la longueur de la nef.
[6] Blanc 1980. Numéro d’autorisation et code Patriarche 02674. Selon les nomenclatures officielles, le sondage archéologique ne peut excéder 1 m x 2 m de long. [7] Dépouillement des registres paroissiaux par Pascale Lagauterie, complétant les premières mentions relevées par l’abbé Brugière à la fin des années 1930. [8] Piat 2000, p. 10-11 et figs. 6 et 8.
Crédits photos: Pierre-Marie Blanc, Christelle Wintersdorff, Les Amis de Saint-Amand-de-Coly
Bibliographie :
BLANC (P.-M.). Rapport de sondage sur l'emplacement du cloître de l'abbatiale de Saint-Amand-de-Coly en Périgord Noir, 1980, 17 pages, déposé à la DRAC Nouvelle Aquitaine.
DELMAS (A.). L'Abbaye de Saint-Amand-de-Coly en Périgord Noir, Supplément au Bulletin de la Société Historique et Archéologique du Périgord pour l'année 1978, Société Historique et Archéologique du Périgord, Périgueux, 1978.
PÉROUSE de MONTCLOS (J.-M.). Architecture. Description et vocabulaire méthodiques. Principes d'analyse scientifique, article cloître p. 472, Inventaire général du patrimoine culturel, Paris, rééd. 2011.
PIAT (J.-L.). Abbatiale de Saint-Amand-de-Coly, sépultures sous le parvis de l'Église. Commune de Saint-Amand-de-Coly (Dordogne), Série médiévale, Document final de synthèse, Service Régional de l'Archéologie d'Aquitaine, Bordeaux, avril 2000, p. 1-14.
Viollet-le-Duc E., Dictionnaire de l’architecture médiévale, Dictionnaire Raisonné de l’Architecture française du XIe au XVIe siècle, tome troisième, article Cloître, p. 410 à 461, réédition Bibliothèque de l’Image 1997.